SAINT FRANÇOIS DE LAVAL

Premier évêque de Québec

Mgr François de Laval, premier évêque de Québec

Les biographes du premier évêque de Québec ne pourront jamais épuiser l’étude des facettes de sa riche personnalité. Mgr de Laval fut à la fois un habile administrateur, un missionnaire au coeur ardent, un homme fier et humble, un mystique héroïque et discret.

Songeons qu’il a passé cinquante années à Québec, surmontant mille difficultés et épreuves, tout en conservant une impressionnante sérénité. C’est vraiment une épopée que sa vie, comme celle de nombreux fondateurs de l’Église canadienne. Il fut l’ami des grands et des petits, des Indiens et des Français, des gouverneurs de Québec, des fondateurs de Montréal et de Trois-Rivières.

Tiré de la revue Notre-Dame du Cap, numéro de juin-juillet 1997
Par Lucie Bélinge

 

Un descendant de la grande noblesse française

Ses parents sont tous deux de la haute noblesse. Son père est un descendant du baron de Montmorency qui était un contemporain de Hughes Capet, roi de France, fondateur de la dynastie capétienne. François a six frères et soeurs; âgé de 24 ans, il est ordonné prêtre le 1er mai 1647, il y a 350 ans. Il est ordonné évêque le jour de l’Immaculée Conception, le 8 décembre 1658. Il se préparait à partir en mission au Tonkin quand on lui apprit que les Jésuites de Québec le réclamaient. Le roi Louis XIV transmet leur requête au Souverain Pontife, en écrivant ceci: « Nous voulons que le sieur de Laval, évêque de Pétrée, soit reconnu par tous nos sujets dans la Nouvelle-France, pour y faire les fonctions épiscopales. »

Des chicanes éclatent dans le clergé local au sujet de cette nomination; mais la reine-mère, Anne d’Autriche, ratifie le tout en écrivant au gouverneur de Québec: « C’est mon intention bien arrêtée et celle de mon fils que Mgr de Laval exerçât la juridiction épiscopale à l’exclusion de tout autre. » Elle obligeait le gouverneur de Québec à faire repasser en France quiconque voudrait contrecarrer son autorité. Mgr de Laval règle des affaires de famille, renonce à sa seigneurie et à ses droits d’aînesse en faveur de son frère cadet, Jean-Louis. Son père est déjà décédé, et sa mère mourra l’année de son départ.

Québec, ville de tempête

La bateau parti de La Rochelle le jour de Pâques 1659 arrive à Québec le 16 juin 1659. Toute la colonie est sur le quai, ainsi que de nombreux Amérindiens; la ville retentit d’exclamations, du son des cloches et du bruit des canons du fort. Le jour même, Mgr de Laval baptise un petit Huron et il se rend à la cabane d’un moribond pour lui administrer les derniers sacrements. Plus tard, il baptisera le grand chef iroquois, Garagonthié.

A peine débarqué à Québec, l’évêque constate les effets désastreux de l’eau-de-vie que les sauvages consomment abondamment. Ces boissons alcoolisées sont importées de France et échangées contre des fourrures. Mgr de Laval s’interpose: les marchands sont furieux et montent le peuple contre l’évêque. Ne pouvant ralentir ou faire cesser ce commerce dont il résulte des bagarres, voire des meurtres, la division dans les familles, Mgr de Laval frappe un grand coup: il excommunie les chrétiens qui continueront ce commerce. Il aura à affronter la colère de notables et même de certains gouverneurs. Marie de l’Incarnation écrit à son fils Dom Claude Martin, bénédictin, « Mgr notre prélat est très zélé pour ce qu’il croit devoir augmenter la gloire de Dieu. Il a pensé mourir de douleur à ce sujet, et on le voit sécher sur pied. »

Cette lutte contre la vente de l’eau-de-vie durera vingt ans! Enfin, en 1679, Mgr de Laval obtient du roi Louis XIV l’interdiction de la vente des boissons aux Indiens. Une longue bataille épuisante vient de finir… pour un temps!

À Québec, il fait très froid durant l’hiver. De gros poêles sont installés au milieu des églises, dont plusieurs passent au feu! Deux fois, la nouvelle basilique de Québec brûlera… mais l’évêque courageux la reconstruit, aidé par les « corvées » des habitants.

Le père de la patrie

Mgr de Laval travaille avant tout à l’organisation de la vie religieuse et à la construction d’écoles. Son immense diocèse s’étend de Québec à l’Acadie et jusqu’à la Louisiane alors française. Il entreprend de nombreuses visites harassantes, car il tient à fonder l’Église canadienne sur la force et l’unité de la vie paroissiale, scolaire et familiale. Son séminaire de Québec a formé, le premier, nos écrivains, penseurs, chefs politiques et religieux qui lutteront pour les droits de la patrie après la conquête anglaise. Après 1760, les paroisses sont restées debout, groupées « serré » autour de leur pasteur, comme le leur avait appris l’évêque de Québec. Il a bien mérité son titre de « Père de la Patrie ».

Un mystique au coeur missionnaire

Le frère Housssart, à la mort de Mgr de Laval le 6 mars 1708, révéla la haute valeur spirituelle et mystique de celui qu’il servait, en publiant un mémoire. Durant les dernières années de sa vie, l’évêque de Québec était devenu un grand handicapé physique, suite surtout à ses tournées missionnaires: « On l’a vu faire de longs pèlerinages à pied, sans argent, mendiant son pain et cachant son nom. Il voulait imiter les premiers apôtres de l’Église primitive, et remerciait Dieu d’avoir quelque chose à souffrir pour son amour. » Le vaillant évêque, en hiver comme en été, parcourt sans relâche son immense vicariat. Sur le fleuve Saint-Laurent, monté dans un frêle canot, il rame lui-même; en hiver, sa « chapelle » sur le dos, il s’aventure en raquettes jusqu’à Montréal, souvent surpris par les vents et la neige.

Il visite les malades de l’Hôtel-Dieu de Québec et les soigne, les encourage et les assiste à leur mort. Ce descendant du premier baron de France se rend seul à la basilique tous les matins à 4 h. Comme un sacristain, il ouvre les portes, sonne la cloche, et prépare l’autel pour y célébrer la messe dès 4 h 30. On a dit qu’il célébrait sa messe comme un ange! Et dans sa pauvre chambre du Séminaire, il couche sur des planches, remettant sous son lit la paillasse que le frère Houssart lui a prêtée.

Un grand saint

A sa mort, Mgr de Laval n’avait plus rien: il avait donné toutes ses possessions aux pauvres. La pape Jean-Paul II l’a béatifié en 1980, à la suite de l’important dossier de miracles et faveurs obtenus en le priant. L’évêque de la Nouvelle-France fut un grand saint que l’on peut encore prier, en ces temps où « sa patrie » est encore en danger.

Sa spiritualité

Le point de départ de la spiritualité de François de Laval réside dans un détachement prononcé qui allait bien avec son tempérament. Il s’en était imprégné auprès de Monsieur de Bernières dans ses années de séjour à Caen. Ce détachement est « un grand système de désappropriation » qui se ramène à la maxime spirituelle suivante : « Nous n’avons pas de meilleur ami que Jésus-Christ. Suivons tous ses conseils, surtout ceux de l’humiliation et de la désappropriation du cœur » comme écrit son premier biographe, Bertrand de La Tour.

Pour François de Laval, la désappropriation n’est autre chose que l’évangile vécu dans toute sa radicalité. Il conserve à cette désappropriation son sens moral de renoncement bien entendu. Ainsi, la désappropriation inclut les valeurs de détachement, de pauvreté, d’humilité puisqu’elle reste toujours une certaine privation, mais l’essentiel de la désappropriation pour François réside d’abord dans le partage et la mise en commun des biens. C’est pourquoi la désappropriation devient partage matériel, puis dans un même mouvement, partage fraternel. Il voulait, écrit Bertrand de La Tour, « que tout le clergé ne fît qu’une grande famille », et c’est dans ce but qu’il demandait qu’on ne se départît jamais « de la désappropriation qui laisse tout en commun entre les mains du supérieur ».

La désappropriation se refermerait sur elle-même si, en fin de compte, elle ne rendait de plus en plus libre et accueillant à l’action de Dieu. À mesure que François de Laval avance en âge, les fruits d’une ouverture amoureuse à la volonté de Dieu à travers les événements se manifestent dans une constance, une patience et un abandon qui grandissent. C’est cette expérience de foi confiante que François de Laval a vécue tout au long de sa vie. Elle est l’aboutissement de la désappropriation et elle est au cœur de son expérience spirituelle. « Il y a longtemps que Dieu me fait la grâce de regarder tout ce qui m’arrive en cette vie comme un effet de sa Providence », écrit-il en 1687. Dans les principaux événements de sa vie, François de Laval recherche promptement leur signification spirituelle soit pour son œuvre pastorale, soit dans son itinéraire spirituel personnel. Cette « expérience de Providence », si l’on peut dire, ne serait pas complète si elle ne suscitait une réponse. Cette réponse est l’abandon : « Il est bien juste… que nous ne vivions que de la vie du pur abandon en tout ce qui nous regarde au-dedans comme au-dehors », dira-t-il après le refus du Roi de le laisser partir pour le Canada en 1687. À son ami Henri-Marie Boudon, en 1677, il disait déjà : « Tout ce que la main de Dieu fait nous sert admirablement, quoique nous n’en voyions pas sitôt les effets ».

François de Laval donne l’exemple d’un pasteur totalement consacré à sa tâche dans une fidélité quotidienne et durable. À sa mort en 1708, il laissait la réputation d’« un pasteur plein de l’esprit des apôtres ». Face aux défis de l’évangélisation, sa persévérance et sa confiance totale au Seigneur peuvent être une inspiration et un exemple stimulant.