Plusieurs le fuient comme la peste, se sentent mal à l’aise en sa présence, essaient de l’enterrer, l’étouffer de mille façons… Moi, je l’aime et l’apprécie plus que jamais. Le silence.
Quand je pars pour ma retraite annuelle de cinq jours en silence complet, certains se demandent comment je fais. Ça semble un exploit. Et pourtant…
Faut dire que j’ai de l’entraînement à ce sujet et une inclination à cela. Déjà enfant, j’aimais m’isoler pour lire et étudier, et je ne supportais pas le bruit dans la maison. Même si j’ai une grande capacité à me concentrer, comme je suis aussi curieux intellectuellement, je ne voulais rien manquer si j’entendais une conversation ou la télévision, alors ça nuisait à mon activité intériorisante.
Quand je suis entré au Grand Séminaire de Montréal en 1982, on mettait beaucoup l’accent sur l’importance du silence dans la vie spirituelle. Je me rappelle qu’en première année, nous avions tous les matins de la semaine, après les Laudes et le déjeuner (donc vers 8h) un trente minutes d’oraison devant le Tabernacle, en silence total, après que le prêtre nous ait donné un motif de méditation. Je vous avoue que nous étions souvent de très bons ouvriers… on en a cogné, des clous… Mais quelle bonne discipline.
Le silence est un défi dans le sens qu’il nous met en contact avec toute l’activité intellectuelle, affective, spirituelle, etc., qui se déroule sans cesse au plus profond de nous-mêmes. Et dans l’absence de bruit et de stimulations extérieures, nous descendons progressivement dans nos profondeurs. Oui, Dieu y habite, nous en sommes conscients et heureux. Mais notre Dieu ne cohabite pas seulement avec de belles motions de l’esprit, de bonnes pensées et émotions, mais avec toutes les colères, les ressentiments enfouis, les blessures du passé, les souvenirs douloureux, nos angoisses existentielles, notre peur de mourir, nos inquiétudes en lien avec les personnes que nous aimons, sans oublier tout ce dont nous sommes peu fiers dans nos vies. La mémoire du cœur et du cerveau contiennent une multitude de choses auxquelles il peut être difficile de faire face. Voilà pourquoi tant de gens détestent le silence; on allume la radio, la télé, le cellulaire dès le réveil; musique et infos dans la voiture dès qu’on y monte. On porte des écouteurs en tous lieux, on se colle aux écrans en tout temps. Symptomatique d’une civilisation qui a le mal de vivre? Le vertige devant son vide?
Pourtant, le véritable silence permet le cœur à cœur avec soi-même. Il nous ouvre à des prises de conscience –douloureuses parfois– mais salutaires. Comme la douleur du corps cherche à nous signifier un problème dont il faut prendre soin, la douleur de l’âme dans le silence nous amène à découvrir certaines démarches vitales et cruciales à entreprendre dans notre recherche du bonheur, du véritable sens de notre vie, et de notre relation à ce que nous sommes vraiment, au-delà des masques et des prétentions que nous entretenons soigneusement face aux autres. N’oublions pas, dans notre réflexion, qu’une fois apprivoisé, le silence est d’or, croyez-moi! Doux et bienfaisant. Guérissant. Addictif.
La dimension prioritaire du silence pour moi demeure le fait qu’il facilite ma relation à Dieu. Ce dernier ne crie pas, ce serait ne pas respecter ma liberté et me bousculer. Il ne s’impose pas. Il chuchote, il murmure. Comment l’entendre dans le bruit, alors? Comme en prend conscience le prophète Élie près de sa grotte, Dieu n’est pas dans l’ouragan ou le tremblement de terre, il se trouve dans la brise légère.